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Les enseignements de toutes les doctrines traditionnelles sont, on l’a vu, unanimes à affirmer la suprématie du spirituel sur le temporel et à ne considérer comme normale et légitime qu’une organisation sociale dans laquelle cette suprématie est reconnue et se traduit dans les relations des deux pouvoirs correspondant à ces deux domaines. D’autre part, l’histoire montre clairement que la méconnaissance de cet ordre hiérarchique entraîne partout et toujours les mêmes conséquences : déséquilibre social, confusion des fonctions, domination d’éléments de plus en plus inférieurs, et aussi dégénérescence intellectuelle, oubli des principes transcendants d’abord, puis, de chute en chute, on en arrive jusqu’a la négation de tonte véritable connaissance. Il faut d’ailleurs bien remarquer que la doctrine, qui permet de prévoir que les choses doivent inévitablement se passer ainsi, n’a pas besoin, en elle-même, d’une telle confirmation a posteriori ; mais, si nous croyons cependant devoir y insister, c’est que, nos contemporains étant particulièrement sensibles aux faits en raison de leurs tendances et de leurs habitudes mentales, il y a là de quoi les inciter à réfléchir sérieusement, et peut- être même est-ce surtout par là qu’ils peuvent être amenés à reconnaître la vérité de la doctrine. Si cette vérité était reconnue, ne fût-ce que d’un petit nombre, ce serait un résultat d’une importance considérable, car ce n’est que de cette façon que peut commencer un changement d’orientation conduisant à une restauration de l’ordre normal ; et cette restauration, quels qu’en soient les moyens et les modalités, se produira nécessairement tôt ou tard ; c’est sur ce dernier point qu’il nous faut donner encore quelques explications.
Un des caractères particuliers du monde moderne, c'est la scission qu'on y remarque entre l'Orient et l'Occident.
Les choses dont nous avons parlé en dernier lieu ont, comme toutes celles qui appartiennent essentiellement au monde moderne, un caractère foncièrement antitraditionnel ; mais en un sens elles vont encore plus loin que l’« antitradition », entendue comme une négation pure et simple, et elles tendent à la constitution de ce qu’on pourrait appeler plus proprement une « contre-tradition ». Il y a là une distinction semblable à celle que nous avons faite précédemment entre déviation et subversion, et qui correspond encore aux deux mêmes phases de l’action antitraditionnelle envisagée dans son ensemble : l’« antitradition » a eu son expression la plus complète dans le matérialisme qu’on pourrait dire « intégral » tel qu’il régnait vers la fin du siècle dernier ; quant à la « contre-tradition », nous n’en voyons encore que les signes précurseurs, constitués précisément par toutes ces choses qui visent à contrefaire d’une façon ou d’une autre l’idée traditionnelle elle-même. Nous pouvons ajouter tout de suite que, de même que la tendance à la « solidification », exprimée par l’« antitradition », n’a pas pu atteindre sa limite extrême qui aurait été véritablement en dehors et au-dessous de toute existence possible, il est à prévoir que la tendance à la dissolution, trouvant à son tour son expression dans la « contre-tradition », ne le pourra pas davantage ; les conditions mêmes de la manifestation, tant que le cycle n’est pas encore entièrement achevé, exigent évidemment qu’il en soit ainsi ; et pour ce qui est de la fin même de ce cycle, elle suppose le « redressement » par lequel ces tendances « maléfiques » seront « transmuées » pour un résultat définitivement « bénéfique », ainsi que nous l’avons déjà expliqué
Né à Blois en 1886 et enterré au Caire sous le nom d'Abd el-Wâhed Yahiâ en 1951, René Guénon est l'homme par qui le scandale arrive. Il dénonce la décadence de l'Occident moderne, fruit d'une lente dégénérescence de son héritage métaphysique et se tourne, au grand dam des catholiques, vers l'Orient devenu, selon lui, le refuge ultime de la “Tradition”.